Portraits de seniors. Lahcen CHAHID, pilier du centre social | Lannion

C’est le hasard de la vie qui a mené Lahcen, marocain, à devenir maçon et s’installer dans le quartier de Ker Uhel, à Lannion. Une adresse dans la poche, et un métier qui embauchait. Il fallut tout apprendre. À commencer par comprendre le mot « pied de biche » ! Lahcen a travaillé dur, pour nourrir sa famille. Quand son dos fut trop usé pour poursuivre, le centre social l’a aidé, et réciproquement.

Nom : CHAHID

Prénom : Lahcen

Âge : Je suis né le 25 septembre 1953. J’ai 69 ans.

Signes distinctifs : D’après le centre social, Lahcen n’a pas un trait de caractère particulier, c’est un caractère à lui seul !

Engagements et projets : fidèle pilier du centre social, toujours volontaire et partie prenante des projets.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Je suis originaire du Maroc, à côté de Fès et Taza, au Nord-Est. J’ai quitté mon pays le 6 juillet 1972. J’avais 19 ans. J’étais au départ près de Toulouse, puis je suis arrivé en 1974 à Ker Uhel, parce que j’avais l’adresse du frère de ma belle-sœur. J’ai trouvé un travail, dans le bâtiment, évidemment et je suis resté ici. Je n’ai qu’un certificat d’études et je me suis arrêté à la troisième année du secondaire. J’ai fondé une famille ici. Ma femme est marocaine comme moi. Tous nos enfants sont nés là. Quand je suis arrivé, je ne savais même pas ce que voulait dire un « pied de biche » ! De l’école, j’avais atterri directement dans le bâtiment. Il fallait se former sur le tas. Il fallait travailler pour vivre, puis pour ma famille, quand les enfants sont arrivés. J’étais dans une situation critique, mais pas désespérée… Je n’avais pas le choix. Nous n’avions pas les parents pour nous donner quoi que ce soit. J’avais trouvé un travail à Lannion, j’y allais comme tout le monde. Je revenais le soir chez moi. Et ça continuait… Quand le travail a diminué ici, je suis parti tout seul pendant 4 ans et demi à Paris, au lieu de rester au chômage. Je rentrais tous les week-ends. Je pouvais souffrir seul, mais pas ma famille. Je n’imaginais pas mes enfants dans le métro. Je préférais qu’ils restent là, l’école était à 60 mètres…

« De l’école, j’ai atterri directement ici, dans le bâtiment. Il fallait se former sur le tas. Il fallait travailler. »

Quelle vision avez-vous de votre quartier et de son évolution au cours des années ?

Le quartier a évolué. Nous avons rénové quelques immeubles et pavillons non loin d’ici. J’ai rencontré beaucoup de monde. Au départ, je ne travaillais qu’avec des Bretons. Nous n’étions pas nombreux, les étrangers, au début. Nous venions d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc. Ensuite, il y eut du changement. Certains partaient, d’autres arrivaient. À cette époque, c’était facile de trouver un logement. Je ne connaissais pas le centre social. Il existe depuis 1971. Nous avons fêté ses 50 ans. Au début, j’étais seul, très pris par le travail, la semaine. Avec la fatigue, je n’étais pas habitué… On s’amusait le week-end, c’était bien. J’étais jeune, j’allais dans les bars, à gauche, à droite. Puis ma femme est arrivée. Nous nous sommes mariés le 18 août 1981, au Maroc. Cela dura presque deux ans pour faire les papiers. Le premier événement de ma vie fut la naissance de notre première fille, le 29 novembre 1983. Nous avons eu deux filles en premier lieu, puis deux garçons. Ce fut dur pour ma femme, avec la langue. Et j’étais encore jeune dans ma tête. Je me suis calmé. J’ai fini par prendre conscience qu’il fallait que j’assume ma famille. Ma femme s’occupait beaucoup de nos enfants, les trajets à l’école, les déjeuners le midi… Elle s’est fait beaucoup d’amies dans le quartier. Nous habitons dans cet appartement depuis 1991, destiné aux familles nombreuses. Ils ont transformé les appartements où nous habitions avant en petits studios. Ils ont démoli 3 bâtiments, le E, le D et le F et les ont remplacé par l’ANPE et le collège. Beaucoup d’habitants sont partis après la réhabilitation urbaine. Avant, il y avait un bar dans le quartier, en face de l’église, mais le gérant a pris sa retraite, une grande perte pour le quartier.

Comment vous situez-vous dans le quartier ?

Dès le début, j’étais connu à Lannion, parmi les jeunes, les personnes âgées. J’allais vers les gens, ils venaient aussi vers moi. J’ai connu la langue bretonne ! Je suis devenu incollable sur les injures en breton… L’accueil ne fut pas toujours bon, comme j’étais étranger… Je laissais faire, je continuais mon chemin, mais si on touchait les enfants, je pouvais me révolter. Aujourd’hui, je continue à me balader partout. Parfois, il y a des sorties avec le centre social. C’est ici que j’aime venir. Le centre social « L’horizon » est une aide pour nous… Dans le bâtiment, à un certain âge, on est cuit… Le dos s’abîme. Quand on est arrivés là, on était costauds. Il n’y avait pas de grues, on portait tout sur le dos : les bastaings, les étais. On n’a pas su gérer notre santé. Et on a payé ça plus tard. J’étais devenu chef d’équipe. J’ai fait une hernie discale, et failli perdre l’usage de ma jambe gauche… On m’a poussé vers la sortie… Le Centre social devint alors une aide pour moi à ce moment-là. Je venais, je parlais avec d’autres gens qui sont devenus mes amis. Nous nous invitions à manger. J’ai commencé à rendre des services à l’équipe du Centre social, Gilles, animateur, François, le directeur… je faisais le chauffeur. Une fois, j’ai conduit jusqu’à Paris, pour le printemps des quartiers. Nous avons rencontré des gens de toute la France, et le ministre de la Ville. Je me sens bien avec les personnes du Centre social. Tout seul, je ne vaux rien du tout. Une main seule ne peut applaudir ! Mais avec deux mains, on peut applaudir.

« Tout seul, je ne vaux rien du tout. Une main seule ne peut applaudir ! Mais avec deux mains, on peut applaudir. »

Quel serait votre rêve pour vous et votre quartier ?

C’est une question difficile. Les jeunes aujourd’hui n’écoutent même pas leurs parents, ni les amis des parents, ni les grands-parents, ni les éducateurs, ni la police ! C’est la rue qui les éduque. Qui écoutent-ils ? Cela m’inquiète, mais je trouve quand même qu’à Lannion il y a moins de problèmes que dans les grandes villes. J’ai eu l’occasion d’encadrer des jeunes, quand j’ai eu mes problèmes de santé. Cela m’a beaucoup plu, mais malheureusement le médecin ne voulait pas que je continue. Si les jeunes pouvaient m’entendre, j’aimerais leur dire trois choses. Déjà, ne restez pas dans la rue à ne rien faire. Il faut trouver un travail ou continuer l’école. Un diplôme, une formation dans la poche vous aideront plus tard. Ne faites pas comme moi qui suis tombé dans le bâtiment parce que je n’avais pas le choix. Avec un travail, vous ne resterez pas sans arrêt à manger chez vos parents et à faire des bêtises. Deuxième chose, ne dégradez pas les équipements de la ville. Enfin, regardez vos atouts. Vous êtes doués aujourd’hui, sur l’ordinateur, sur WhatsApp… Vous avez plus de moyens que nous dans le temps. Servez-vous de tout cela pour avancer !

Propos recueillis par Marie Fidel

 

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