Portraits de femmes. Louisa Bouraya, porteuse de liberté à Brest

Louisa, porteuse de liberté pour les femmes d’Europe et d’ailleurs.

Nom : BOURAYA

Prénom : Louisa

Âge : 66 ans

Quartier : Pontanézen, Brest

Signes distinctifs : Son prénom. Partout, c’est Louisa. Quand on dit Louisa, on sait où la trouver. Louisa a reçu la médaille de Chevalier de l’ordre national du mérite en 2012 pour son dévouement aux autres.

Engagements : Pour l’émancipation des femmes : la réussite des enfants et des jeunes passe par là. Après 35 ans de bénévolat informel dans son quartier, elle fonde l’association Ici – Femmes dEurope et dailleurs.

Il est des personnes qui nous grandissent. C’est le cas de Louisa Bouraya. Depuis son jeune âge, elle consacre sa vie à changer celle des femmes et des familles en difficulté. À commencer par sa propre mère, déracinée d’Algérie. Seule fille dans une famille musulmane de 6 enfants, elle a dû s’imposer très jeune. Ce qui lui a donné de la force, et la confiance des familles qu’elle accompagne vers l’autonomie.

 

« Je suis très fière car aujourd’hui elles sont adultes, elles ont toutes réussi leurs études et choisi leur mari, ça a été un combat.»

 

 

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre quartier ?

« Je suis arrivée en France après la guerre d’Algérie. Mon père nous a ramenés en 1967 à Brest. C’était les baraques. J’étais la seule fille avec cinq frères. Je n’avais pas le droit de faire des études. Ça n’a pas toujours été facile pour moi. Il fallait que je m’impose en tant que fille pour avoir moi aussi mes droits. Nous sommes arrivés à Pontanézen dans le premier bâtiment construit, en 1970. Là, découverte ! Un grand appartement où j’avais le droit à ma chambre, le confort total. Petit à petit, on a vu les immeubles se construire autour et accueillir toutes les familles d’origine étrangère. »

 

Quand avez-vous commencé à donner du temps pour votre quartier ? Quel a été le déclic ?

« J’ai eu ce déclic à 13 ans, parce que ma mère ne parlait pas français. Je faisais l’interprète. Les autres femmes du quartier aussi étaient en souffrance. On les a déracinées, avec le regroupement familial. Je les accompagnais au centre social, à l’école, pour comprendre et suivre la scolarité. C’est la réussite, au bout. J’étais fière de les voir épanouies et autonomes. Tout cela m’a donné une force. J’ai continué avec les jeunes femmes victimes de mariages forcés, que les parents empêchaient de faire des études. J’ai moi-même vécu cela. J’intervenais auprès des parents. J’avais un réseau d’assistantes sociales, d’éducateurs. Je suis très fière, car aujourd’hui elles sont adultes, elles ont toutes réussi leurs études et choisi leur mari, ça a été un combat. Après 35 ans de bénévolat sur le quartier et j’ai été décorée d’une médaille. Mon père était très fier. Il m’a dit qu’il regrettait de ne pas m’avoir laissé faire des études. On a créé l’association Ici femmes d’Europe et d’ailleurs en 2016 pour l’émancipation des femmes et des jeunes. Ce qui nous a vraiment poussées, c’est les attentats de Charlier Hebdo. Avec d’autres femmes musulmanes, on était révoltées de cette vision de la religion. Je voyais des gamines basculer, du jour au lendemain porter la burka. »

 

« Le fait que je sois une femme met en confiance les autres femmes. Le fait que je sois de confession musulmane aussi. »

 

 Pensez-vous qu’être une femme change la donne lorsqu’on s’engage sur un territoire ? (Le regard est-il différent ? Faire entendre sa voix est-il plus difficile ?)

Je pense que oui. Cela met en confiance les autres femmes. Le fait que je sois de confession musulmane aussi. Depuis 40 ans, il y a cette confiance grâce à l’écoute et la confidentialité. C’est tout ça qui fait qu’on vient me voir. Les seuls freins que j’ai eus ce sont les gens qui n’aimaient pas mon franc-parler. Et certaines femmes au pouvoir qui ne supportent pas qu’on travaille sur un même territoire. Au contraire, je suis très respectée par les hommes. Ils n’hésitent pas à me demander de l’aide. »

Nous sortons de deux mois de confinement, quelles ont été les difficultés vécues par les familles du quartier ?

« Cela a été compliqué. Tout a fermé d’un coup. Ceux qui ne parlaient pas français se sont trouvés complètement isolés. J’ai fait un appel à la solidarité pour distribuer les cours à la maison et les attestations. On a d’autant plus de travail après le confinement, sur le suivi de la scolarité. Pendant le ramadan on a organisé des dons alimentaires. Je regrette de n’avoir pas pu accompagner les femmes au niveau de la violence. Je ne pouvais que leur dire d’appeler la police en cas de danger, ou de faire appeler par quelqu’un. Le 15, j’essayais, mais ça ne donnait rien. D’habitude, je les reçois ici ou dans ma voiture. J’ai eu des menaces de mort donc j’essaie de rester discrète. Ensuite, je les accompagne à l’hôpital ou au commissariat, je leur explique leurs droits… C’est un travail de longue haleine pour créer une confiance entre les familles et les assistantes sociales. »

 

Avez-vous un rêve pour votre quartier et ses habitant·e·s ?

Ce serait d’avoir suffisamment de bénévoles pour m’aider à tenir, continuer à accompagner les familles… Les besoins sont là et ils sont énormes. Je ne me vois pas vivre ailleurs parce que je connais pratiquement tout le monde. Génération après génération, je les ai vu tou·te·s passer.

Propos recueillis par Marie Fidel

 

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