Portraits de femmes. Delphine JAUNET, engagée contre la fracture numérique à Saint-Nazaire

Delphine, engagée contre la fracture numérique auprès des habitant·e·s du quartier de la Chesnaie.

Nom : JAUNET

Prénom : Delphine

Âge : 41 ans

Quartier : La Chesnaie, Saint-Nazaire

Signes distinctifs : Une patience à toutes épreuves !

Engagements : Depuis 18 ans, elle anime l’espace multimédia Léo Lagrange, au cœur de la maison de quartier de la Chesnaie.

 

Il y a 18 ans, Delphine Jaunet prenait les commandes d’un espace multimédia, au pied des immeubles du quartier de la Chesnaie. Une aventure professionnelle et humaine au long cours, qui fait aujourd’hui résonner les enjeux de la fracture numérique.

 

 

« L’ordinateur est une belle révolution mais il faut bien l’accompagner et il faut des lieux de vie pour ça. »

 

 

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre quartier ?

« Je suis animatrice dans l’espace multimédia Léo Lagrange depuis 18 ans maintenant. L’association Léo Lagrange a un conventionnement avec la mairie de la ville de St Nazaire qui a mis en place un accès gratuit à l’initiation à l’informatique pour que tout le monde puisse venir apprendre, sans contrainte financière. Ils avaient déjà détecté que l’informatique allait être un facteur de fracture dans la société et, lutter contre cela, c’est la mission que je remplis tous les jours. Le quartier n’était pas dynamique à la base, mais il commence à l’être, il est en fin de restructuration. Dans la Chesnaie maintenant on a un Cap Santé, une pharmacie, une boulangerie, alors qu’avant il n’y avait rien du tout. C’est nouveau. Donc l’espace civique était le seul lieu de rassemblement, de connexion entre les habitants. C’est vraiment la maison de quartier qui dynamise tout cela, avec toute ses animations. C’est un lieu riche, important, avec plein de cultures différentes. »

 

Quel a été le déclic qui vous a donné envie de vous engager dans votre quartier ?

« J’ai commencé en emploi jeune parce que je venais de l’animation. J’ai un BTS comptabilité mais je ne me voyais pas faire ça. Mais grâce à cette formation, j’avais appris la bureautique, les traitements de texte, Excel, puis internet. Et j’ai trouvé ce poste. Je ne me vois pas ailleurs, parce que c’est vraiment un lieu de vie, un lieu de ressources. Au début, les gens venaient par curiosité. Il y a 18 ans, il n’y avait pas forcément les mêmes besoins. Mais depuis 5 ans, ce sont des gens qui viennent parce qu’il y a une peur de l’informatique et qu’ils ont l’impression de ne pas avancer avec la société, d’être déconnectés. Déconnectés vis-à-vis de leur famille, de la société administrative, avec l’obligation d’avoir un ordinateur, un smartphone qui soit connecté. Ici c’est un quartier prioritaire et tout le monde n’est pas équipé, donc les personnes viennent ici faire leurs devoirs, demander de l’aide pour la mise en page de leur CV et lettre de motivation. Maintenant, tous les documents administratifs sont à envoyer par mail. Notre accompagnement est une initiation mais il englobe l’apprentissage de l’ordinateur, de la tablette et du smartphone, et aussi apprendre à gérer ses documents administratifs, ses mails, sa banque, les impôts, etc. Pour tout cela, il faut donner une méthode à chacun, pour que tout le monde puisse s’y retrouver. Ce n’est pas simplement un cyber, c’est vraiment un espace multimédia, je tiens vraiment à garder ce mot là parce que c’est un espace de vie, un espace de rencontres et d’échanges. L’espace multimédia est une occasion de rencontres pour des publics vraiment différents, de 6 à 85 ans. Par exemple, deux dames qui sont venues tout à l’heure vont aller manger ensemble, et je ne suis pas sûre qu’elles se connaissaient avant d’être venues à l’espace multimédia. Il y a des liens qui se créent. Moi-même je prends le temps de créer un lien social avant de faire de l’informatique. »

 

Pensez-vous qu’être une femme change la donne quand on s’engage sur un territoire ? Votre parole est-elle plus difficile à faire entendre ?

« Pour moi, être une femme ou un homme à ce poste, ce n’est pas l’important. L’important est d’intégrer que l’humain est beau et qu’une fois qu’on a la capacité d’écouter l’autre, tout le monde peut le faire. Les gens me font le retour que je suis patiente. Je ne le sens pas parce que je suis comme ça mais c’est ça qui ressort, plutôt que le fait d’être une femme ou un homme. Dans ces quartiers, on sent qu’il faut une longévité. Il ne faut pas trop de roulements de personnels, on a vu que les personnes sont très vite déstabilisées. Qu’on soit un homme ou une femme, c’est vraiment le lien de confiance qui compte. »

 

« Il y a toute cette société que j’ai vu évoluer dans le mécanisme de l’informatique. Que ce soit le public adulte ou jeune, ce n’est pas une évidence, et c’est pour cela que des lieux multimédias ont tout leur intérêt dans les quartiers. »

 

Avez-vous un rêve pour votre quartier et ses habitant-e-s ?

« Le rêve serait qu’il y ait moins de fracture numérique et qu’on arrête de mettre la pression sur les gens administrativement. La problématique c’est le coût du matériel et de la connexion. Il faut qu’on développe des ordinateurs qui ne soient pas chers, qu’il y ait des connexions internet libres. Tout le monde n’a pas internet, ou d’ordinateur. Il faut un monde plus juste vis-à-vis de cet outil, qui est pourtant super, qui connecte les gens ensemble à des distances infinies, et, qui, en même temps, fait que les gens se retrouvent avec des peurs qu’ils n’avaient pas avant. J’ai fait la demande de permis de conduire avec un monsieur. Il me disait « avant je le faisais tout seul, j’allais tout seul à la sous-préfecture faire mes papiers, je n’avais pas besoin de vous, et là je me retrouve dans une situation où je ne sais pas vers qui me tourner, je me sens dépendant de vous. » Il y a une perte d’autonomie et elle est très forte en ce moment. »

Propos recueillis par Claire Gadebois

 

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