Portraits de femmes. Armelle Levrel, phare du quartier à Rennes

Armelle, phare du quartier

Nom : LEVREL

Prénom : Armelle

Âge : 75 ans

Quartier : Champs-Manceaux, Rennes

Signes distinctifs : surnommée « Mam Goz » par ses arrières-petites-filles.

Engagements : syndicaliste, Armelle a toujours combattu l’injustice et défendu les sans voix. Elle s’investit dans l’accompagnement à la scolarité, les cours de français langue étrangère, le comité de quartier et le conseil citoyen. Elle a été administratrice de l’ARCS – association rennaise des centres sociaux pendant 9 ans.

 

Aux Champs-Manceaux, on surnomme la tour Sarah-Bernhardt « le phare de Rennes ». Mais un autre phare brille fort dans le quartier. Une Mam Goz coriace prête à tout pour transmettre ce qu’elle sait aux enfants. Originaire d’une lignée de marins, Armelle a accosté ici en 1966. Depuis, elle éclaire les enfants dans leur scolarité, les étrangers dans l’usage du français, mais aussi la politique de la ville à travers son engagement dans le conseil citoyen.

 

« Je n’ai jamais été une femme soumise, même dans ma petite enfance. On m’appelait souvent Armelle la rebelle. »

 

 

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre quartier ?

« Je suis arrivée à Rennes après un accident de la vie. En 1965, j’ai mis au monde une jolie petite fille et neuf jours après, son papa s’est tué en voiture. J’étais fonctionnaire aux PTT. J’ai eu ma mutation de Paris en Bretagne pour me rapprocher de mes parents. L’administration m’a logé aux Champs-Manceaux. J’étais la première habitante de l’immeuble. Le quartier se construisait pour loger les travailleurs de l’usine Citroën en plein essor. Il y avait un petit centre commercial appelé Marguerite, et de l’autre côté, le champ de l’Orme avec des logements d’urgence. II en reste quelques-uns. La gendarmerie a ensuite racheté le terrain pour loger les gendarmes. Cela a changé ! Je suis restée, car ici, on a tout pour être bien : les médecins, les transports, le centre Alma, le parc de Bréquigny… Malheureusement, les stupéfiants gravitent… Il n’y a plus de travail, je plains la jeunesse. On ne peut pas jeter la pierre aux enfants. Le quartier s’est paupérisé à une allure… »

 

Quand avez-vous commencé à donner du temps pour votre quartier ? Quel a été le déclic ?

« J’ai toujours combattu l’injustice. J’ai fait partie du plan social des Télécoms avec la scission de la poste. J’étais responsable syndicale, j’ai pris une claque. J’ai arrêté de travailler en septembre 1999. Je fais partie d’une génération où l’on nous a appris des choses. On se doit de les transmettre. Je voulais donner du temps pour les enfants. J’ai fait de l’accompagnement à la scolarité deux fois par semaine depuis 2002, et pendant douze ans, j’ai donné des cours de “Parlons français” pour les primo arrivants au Centre social. Je me souviens de leur étonnement quand je leur ai parlé de George Sand ! J’ai aussi été sollicitée pour participer au conseil citoyen. Cela nous a pris 18 mois pour établir nos statuts. Le conseil citoyen est la voix des sans voix, il fallait prendre le temps de rendre les textes de la loi Lamy compréhensibles par tous. On a travaillé sur la valorisation de l’école publique, constatant que la gendarmerie régionale ici, avec plus de 500 familles, ne scolarisait pas ses enfants dans l’école publique du quartier. Je me suis toujours battue pour une école laïque, gratuite, républicaine et pour l’égalité des chances. »

 

« Dans ma famille, nous sommes descendants de marins. C’était les femmes qui menaient la barque. »

 

 Pensez-vous qu’être une femme change la donne lorsqu’on s’engage sur un territoire ? (Le regard est-il différent ? Faire entendre sa voix est-il plus difficile ?)

« Je n’ai jamais été une femme soumise, même dans ma petite enfance. On m’appelait souvent Armelle la rebelle. Je me suis toujours révoltée. J’ai une devise : il ne faut jamais laisser aux autres le soin de s’occuper de ses affaires. Il vaut mieux être acteur de sa vie que spectateur. Mon parcours de vie a fait que j’ai dû avancer et ça a été aussi une bonne école. Je viens d’une génération de femmes coriaces. Dans ma famille, nous sommes descendants de marins. Les hommes n’étaient pas à terre, c’était les femmes qui menaient la barque. On dit que les chiens ne font pas des chats ! »

 

Nous sortons de deux mois de confinement, quelles ont été les difficultés vécues par les familles du quartier ?

« Cela n’a pas été facile pour les familles, d’avoir les enfants à nourrir tous les jours. Ici, les trois quarts des gens vivent avec les aides sociales, les Restos du cœur, le Secours populaire. Il y a beaucoup de chômeurs. Vivre confiné en permanence, la promiscuité, le bruit des appartements… Dans mon immeuble, il y a eu deux descentes de police en un mois. Des familles avec 6-7 enfants dans un F4, ça fait beaucoup. Les gamins restaient toute la journée sur un lit avec les écrans, ce n’est pas comme cela que l’on avance… Les parents réclamaient la reprise des cours… Au déconfinement, la première chose que j’ai faite, je suis allée voir la mer. C’était un besoin vital. »

 

Avez-vous un rêve pour votre quartier et ses habitant·e·s ?

« Je voudrais que les habitant·e·s vivent heureu·x·ses et qu’ils aient les moyens de vivre correctement, surtout. Et ne plus voir tous ces jeunes en train d’attendre pour la drogue. Cela fait mal au cœur, j’en ai eu certains en accompagnement à la scolarité. L’un d’entre eux est venu me parler récemment : “Vous savez madame, je voudrais servir d’exemple à mes petits frères et petites sœurs. Moi, c’est fini la drogue, je ne veux plus ça. J’ai eu des ennuis avec la police, ce sont mes parents qui paient maintenant. Je rentre en pensionnat dans un Lycée professionnel en dehors de Rennes.” C’est une belle chose. Je lui ai donné des pistes pour trouver un apprentissage. J’aime bien les gamins un peu retors comme moi. »

Propos recueillis par Marie Fidel

 

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