Portraits de jeunes. Jonathan KALAÏ, le respect et la liberté | Brest

En stage d’insertion dans l’association Don Bosco — Quartier Kerangoff

Reprendre le chemin de la légalité, de la liberté. Jonathan pose les jalons d’un avenir plus sûr, accompagné par l’association Don Bosco. Il nous raconte son attachement naturel à Karangoff, le quartier de Brest qui l’a vu grandir et lui a inculqué le respect et la solidarité. Des valeurs peu visibles mais essentielles pour lui.

Nom : KALAÏ

Prénom : Jonathan

Âge
: 21 ans.

Signes distinctifs
: Mon « blaze », c’est mon nom de famille : Kalaï. Tout le monde m’appelle comme ça.

Engagements et projets
: Dans la vie, j’ai le projet de devenir agent immobilier. C’est en cours. J’aimerais bien faire ça pour plus tard avoir mes biens, les louer et gagner un maximum d’argent pour être libre.

« Je pense qu’on n’est pas tous heureux d’avoir grandi dans les quartiers, mais ça fait aussi les personnes qu’on est aujourd’hui. Et je pense que pour la plupart, nous sommes de bonnes personnes. »

Présentation : Peux-tu nous raconter ton histoire, l’endroit où tu as grandi, où tu habites ?

J’ai grandi à Kerangoff. C’est un quartier rive droite, à Brest. Je suis arrivé quand j’avais trois ans. J’y ai vécu jusqu’à mes treize ans. Ensuite, je suis parti. J’ai eu un parcours assez compliqué. Je me suis retrouvé à la rue. J’ai dû me débrouiller par-ci, par-là. Ensuite j’ai été placé en foyer, famille d’accueil. J’avais treize ans et demi, quatorze ans. J’ai fait pas mal de familles d’accueil et de foyers dans le Finistère. Après, je suis parti en séjour de rupture. Ensuite, je suis rentré à Kerangoff. Puis je suis parti en CEF (centre éducatif fermé). C’est une alternative à la prison quand on est mineur. On retrouve les mêmes principes que la prison, mais c’est plus allégé. J’ai fait six mois là-bas puis je suis rentré à Kerangoff. Ensuite, il y a eu quelques soucis avec ma mère. Alors j’ai pris mes chemins, elle a pris les siens. Et là, je suis de retour dans le quartier, aux sources. Ça fait six mois à peu près. J’ai toujours eu un attachement avec le quartier, c’est comme ça.

«  J’ai eu un parcours assez compliqué par la suite. Je me suis retrouvé à la rue. J’ai dû me débrouiller par-ci par-là. »

Qu’est-ce que grandir ici/dans un quartier ? Est-ce qu’il y a une spécificité ?

Je pense que c’est un bon quartier. Comme partout, il y a des gens pauvres. Même si ça restera toujours notre quartier, on a des manques. On aimerait que ça soit mieux, pour nos mamans, pour les gens. Parce que des fois, les appartements ne sont pas en bon état. Mais nous, on a toujours vécu ici, on est habitués. Malgré les problèmes, il y a une bonne cohabitation, une bonne cohésion. Je ne sais pas comment l’expliquer, je suis rattaché. Au final, ça vient du cœur, c’est le quartier, c’est comme ça.

Chaque personne qu’on rencontre est importante, d’après moi. Elle nous amène à faire des choix, qui vont nous faire prendre un chemin. C’est le destin. Et je pense que chaque relation est bonne ou mauvaise à prendre.

Projets et engagements : Quels sont tes projets personnels et professionnels ? Es-tu impliquée/engagée dans ton quartier ou ailleurs ?

J’ai des problèmes avec la justice, j’ai pris 11 mois ferme. Je suis en aménagement de peine, j’attends mon bracelet, donc j’ai des obligations de formation. C’est comme ça que je suis arrivé ici en réinsertion à l’espace Don Bosco. En soi, la formation est bien. C’est pour trouver notre projet professionnel. J’ai réfléchi à ce que je voulais faire vraiment toute ma vie, et j’ai choisi ça : agent immobilier. C’est un moyen de générer de l’argent légalement. Il le faut, c’est comme ça. J’ai vite appris, en me relevant, très jeune, que je n’avais pas le choix. J’ai esquivé deux fois la prison. Mon sursis est tombé. La réinsertion, je n’étais pas dedans. J’ai fait des petits boulots, mais ça ne tenait jamais. À chaque fois, j’ai dû stopper, parce que j’avais un côté autodestructeur. Je me retrouvais à la rue, ça a été des montagnes russes. Depuis février, je suis en insertion à Don Bosco. Je vais faire des enquêtes métier, et voir ce qui sera le plus adapté pour m’amener sur ce chemin-là.

Être jeune en 2021 : Pour toi, qu’est-ce que ça veut dire d’être jeune en 2021 ? Comment te sens-tu, comment vis-tu la crise sanitaire ?

C’est compliqué… Tout le monde pourra dire ça : les étudiants, les gens du quartier, même les jeunes qui travaillent. Parce que la plupart des petits jobs, on les trouve dans les restaurants. Tout a été fermé. Le côté social, aussi est important. Moi, personnellement je n’ai pas trop subi la crise. Ce n’est pas ça qui va me décourager.

Tu fais partie d’une génération traversée par des mouvements sociaux très forts, Black Lives Matter, les Marches pour le climat, #MeToo, etc., qu’est-ce que ça t’inspire ?

Je pense qu’on est très mal engagés, c’est de pire en pire ! On dirait que le respect se dégrade, de génération en génération. Je connais des petits, ils ne font pas attention aux autres. Ils s’en fichent. Pour moi le respect est très important. Par exemple, quand on voit quelqu’un en difficulté, qu’on aille l’aider. Je parle de la vie du quartier. Ce n’est pas parce qu’on est des jeunes d’un quartier qu’on n’est pas respectueux. Il y a les clichés, on parle de la drogue, l’argent, « ils crachent par terre », « ils fument »… Mais on ne remonte jamais les vraies choses, comme quoi les mamans se font aider à monter des sacs parce qu’elles sont essoufflées. Ce n’est jamais apparent. Dans mon quartier à l’époque, on allait chez une vieille dame handicapée, avec deux trois amis à moi, on faisait le ménage. Pour moi, c’est normal. Cette dame pourrait être ma mère, ma tante, ma cousine. Ces choses-là sont trop délaissées.

«  Ce n’est pas parce qu’on est des jeunes d’un quartier qu’on n’est pas respectueux. »

As-tu un rêve, une raison d’espérer pour toi/pour ton quartier et ses habitant·e·s ?

Ce serait d’avoir un maximum d’argent, parce que pour moi l’argent, c’est la liberté. C’est mon point de vue, issu d’un contexte compliqué. Si demain je me réveille et que j’ai envie de me dire : « Je pars là ! ». Eh bien, j’y vais. Si j’ai besoin de mettre bien ma famille, prenez. S’il y a des gens qui ont besoin, prenez. C’est de ça que j’ai besoin. Si cela marche, déjà, je donnerai une partie à ma mère, une belle villa. Et je sortirai mes proches, mes amis qui sont dans le besoin. Après, je ferai aussi un peu le bling, bling, parce que je n’ai pas eu trop dans ma vie. Dans l’État français, on a très peu d’aides pour les jeunes comme moi, qui viennent d’un quartier et qui ont arrêté l’école parce qu’il se sont retrouvés dans la rue. J’ai attendu bien longtemps avant de trouver de l’aide. Peu importe si on tombe, il faut toujours se relever, garder la tête haute. Croire en soi, en ses rêves, et foncer.

Est-ce qu’il y a des choses qui devraient changer dans les quartiers ?

Dans les quartiers, il devrait y avoir plus d’entretien. Certains appartements sont vraiment en mauvais état. On sent une injustice parce qu’on n’a pas grandi comme les autres. On n’est pas tous heureux d’avoir grandi dans les quartiers, on aurait préféré grandir ailleurs. Mais grâce à ça, d’un côté, on a réussi à avoir des principes et des valeurs. Ça fait aussi les personnes qu’on est aujourd’hui, et je pense que pour la plupart, nous sommes de bonnes personnes.

Propos recueillis par Marie Fidel

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