Portraits de femmes. Ernestine Monga, développeuse de lien social à Angers

Ernestine, habitante engagée, développeuse de lien social et de rencontres solidaires

Nom : MONGA

Prénom : Ernestine

Âge : 41 ans

Quartier : Angers, Savary

Signes distinctifs : Dans le quartier, les jeunes l’appellent Tantine.

Engagements : Organisatrice de la Journée Citoyenne, elle s’engage au quotidien pour encourager la mixité sociale et développer les rencontres entre habitant-e-s au sein du quartier de Savary.

 

Après des études en Allemagne, Ernestine Monga s’installe à Angers avec sa famille, et déménage dans le quartier de Savary. Après un court temps d’observation, elle s’engage avec force et humilité au cœur du quartier pour favoriser les rencontres entre les habitants. Une histoire d’échanges et d’apports réciproques qui dure depuis 10 ans.

 

« Ce quartier m’a tout donné. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas partie. Il y a beaucoup à apprendre à Savary. »

 

 

 

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre quartier ?

Ernestine Monga, j’ai 3 enfants, et ça fait 10 ans que j’habite ici. Je vais bientôt déménager mais je reste dans ce quartier, je ne bouge pas. On ne parle pas trop de l’ilot Savary, c’est une histoire particulière. On parle plus du Boulevard St Michel, de la Rue Pierre Lise ou de l’Avenue Pasteur. On est enclavés. Avant, je vivais dans un quartier huppé de la ville, il y a eu une urgence, et il a fallu que je me reloge au plus vite. Je me suis dit : « Est-ce que je vais m’adapter, est-ce que je vais y arriver ? ». Avec les jeunes qui ont investi le quartier, avec la vente de la drogue, c’est du bruit au quotidien, ce que je n’aime pas du tout. Mais au fil du temps, j’ai pu trouver ma place, et certaines valeurs qu’il n’y avait pas dans ce quartier huppé. J’ai trouvé une famille. Un dialogue s’est installé, le respect et la confiance. C’est un travail que j’ai pu faire sur moi, aller à la rencontre des habitants. J’ai essayé d’échanger avec les jeunes. Au départ, c’était très compliqué. Mon conjoint ne voulait pas que j’ai ce genre de fréquentations. Je lui ai dit : « Tu sais, ça aurait pu être mes enfants ». Il faut discuter avec eux pour comprendre et trouver les mots justes. Je faisais des gâteaux, je descendais et je m’asseyais avec eux à même le sol, moi qui ne supporte pas l’insalubrité. Quand on a les codes avec ces jeunes, on les aborde facilement. Aujourd’hui, ils m’appellent Tantine. J’ai imposé ce respect et c’est resté. Ils me connaissent, ils connaissent mes enfants, ils savent où j’habite, je leur ai ouvert mes portes. On s’entraide beaucoup, c’est une particularité du quartier. Quand je gare ma voiture, je sors les sacs, à peine j’ai vidé mon coffre, ils ont déjà monté les courses chez moi. Ils les posent dans ma cuisine, sur mon balcon, c’est de la confiance.

 

Quel a été le déclic qui vous a donné envie de vous engager dans votre quartier ?

C’est le quartier, l’environnement du quartier. Je me suis dit : « Je n’ai jamais vécu dans ce genre d’ambiance mais je veux donner une chance à ces enfants, à ces familles, de vivre autre chose ». Par le biais de la ville, j’ai pu organiser la Journée Citoyenne. Tous les ans, je présente mon projet, pour permettre aux habitants de se rencontrer. Il y a une place ronde (au cœur du quartier) où tout se passe. Les partenaires sont des commerçants, il faut aller les voir, les convaincre. La 1ère année, c’était compliqué mais maintenant ils me suivent dans le projet. Ils connaissent les difficultés qu’on a dans ce quartier, il y a aussi cette solidarité. Tout le monde joue le jeu et je trouve ça magnifique. Les parents cuisinent. On commence la journée par un grand ménage du quartier avec les enfants, les adultes, et on immortalise par des photos. On travaille ensemble, dans une bonne ambiance, et tout se passe hyper bien. La résidence d’autonomie est venue nous rejoindre, 19 résidents, et on a mangé ensemble. On a confectionné des bijoux, ils sont repartis avec. Ils ont passé un très bon moment avec nous, au point où ils m’ont recontactée pour savoir quand serait la prochaine journée citoyenne. Mais avoir la motivation des habitants, c’est compliqué. Alors je fais du porte à porte dans toutes les tours, je présente mon projet, je prends les numéros de téléphone. La plupart des gens ici ont une barrière qui est celle de la langue. J’essaye de trouver un vocabulaire approprié, ce n’est pas du tout évident de leur faire comprendre ce qu’est la journée citoyenne. Des gens pensent que c’est la Ville, que c’est politique et cela n’a rien à voir. J’explique que c’est comme une association, que personne n’est rémunéré. Je ne le fais pas pour la Ville, je le fais pour les habitants, pour nous. Je leur dis venez, et vous verrez. Jusqu’à présent, ça a toujours bien marché. »

 

« On a beaucoup de potentiel en nous. Il suffit d’un élément déclencheur pour essayer. Moi par exemple, je ne pouvais pas m’imaginer mettre un projet sur papier et le réaliser. »

 

Pensez-vous qu’être une femme change la donne quand on s’engage sur un territoire ? Votre parole est-elle plus difficile à faire entendre ?

« Etre une femme c’est plus compliqué, mais homme ou femme, tout dépend de la personne. Il faut beaucoup de personnalité et beaucoup d’écoute. Il ne faut pas venir aujourd’hui, et demain, lâcher prise. Il faut aller jusqu’au bout. Il faut être humain, et humble. L’humilité, c’est le mot d’ordre. Si vous avez ça en vous, vous avez tout, c’est la clé du succès. »

Nous sortons de deux mois de confinement, quelles ont été les difficultés vécues par les familles dans le quartier de Savary ?

« Franchement, tous les habitants ont joué le jeu. Chacun était chez soi, tout le monde a respecté les gestes barrières. C’était un calme plat. Il y a la promiscuité ici à Savary, et si quelqu’un avait été malade, c’était parti. J’ai trouvé ça vraiment génial cette solidarité. Quoi qu’on dise sur ce quartier, on a respecté. Mais psychologiquement, c’était dur. J’ai échangé avec les habitants. Il y en a qui ont eu du mal, il y en a beaucoup qui vivent seuls ici. Quand on écoute ces politiques qui disent « on est en guerre », ça a beaucoup joué sur la psychologie des gens et j’ai trouvé ça déplorable, parce qu’on aurait pu utiliser d’autres termes pour permettre aux gens, surtout ceux qui sont seuls, qui ne peuvent pas aller voir leur famille, d’accepter le confinement. »

 

Avez-vous un rêve pour votre quartier et ses habitant-e-s ?

« Je sais qu’il y a plein de choses qui vont être mises en place, des rénovations. Ça changera le regard des autres. Le tramway va passer juste à côté et ça va valoriser le quartier. Et pourquoi ne pas aussi, essayer de faire cette mixité. C’est important. Que chacun apporte un peu de sa culture, qu’on essaye des compromis pour vivre ensemble. Sur mon palier, on vient tous les trois d’Afrique. Je n’ai pas fait 6000 km pour venir vivre avec les miens. Qu’est-ce que je vais transmettre à mes enfants ? J’aimerais qu’ils apprennent à vivre avec d’autres personnes, avec d’autres valeurs. Il faut combiner pour trouver un équilibre. C’est ce qui manque ici. Il y a des incivilités, et je pense que si on avait la mixité, ça n’arriverait pas. Il faut que les bailleurs sociaux aussi jouent le jeu. Peut-être qu’en redorant l’image du quartier, ça redorera aussi l’esprit des habitants. Ça apportera de la lumière dans leur vie. Cette lumière permettra qu’ils s’intègrent dans ce projet et qu’ensemble, nous fassions des choses très importantes qui pourront donner envie à d’autres de venir habiter à Savary. »

Propos recueillis par Claire Gadebois

 

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