Après avoir quitté son île des Comores natale, Ngazidja, Aliamani Omar est arrivé à la Roseraie pour retrouver sa femme et ses enfants. Fort de son parcours de conseiller et fonctionnaire politique, il met aujourd’hui toutes ses compétences au service du quartier qui l’a accueilli.
NOM : Omar
Prénom : Aliamani
Âge : 63 ans
Signes distinctifs : La marche et la lecture.
Engagement : depuis son arrivée en France, Aliamani s’est impliqué dans de multiples associations parmi lesquelles l’association culturelle franco-comorienne du Maine et Loire, l’association contre l’esclavagisme ou l’association pour la promotion et l’intégration dans la région d’Angers (Aptira). Il est aussi engagé au sein du dispositif Habitant solidaire mis en place par le bailleur Immobilière Podeliha, ce qui en fait le référent pour tout nouvel arrivant de la Roseraie.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis né et j’ai vécu dans l’archipel des Comores jusqu’en 2008. Sur l’île de Ngazidja précisément « Grande Comores », en Français. C’est la plus grande des trois îles qui constituent l’archipel, si on exclut Mayotte, qui est encore aujourd’hui un département Français. Comme il n’y avait pas d’université dans les Comores, je suis allée faire mes études de journalisme et de sciences de l’information en Tunisie. En rentrant aux Comores, j’ai exercé différents métiers : chargé de la communication au fond des Nations Unies pour la population -FNUAP, journaliste puis directeur de l’information pour la radio nationale, attaché de presse dans différents ministères, puis conseiller en communication auprès du Président de la République. J’étais la première personne à le rencontrer chaque matin, pour le brief d’actualités matinales. J’ai beaucoup voyagé pendant cette période, dans différents pays du monde, sauf en Amérique. C’était passionnant. A la suite de cela j’ai été nommé secrétaire général dans différents ministères (culture, diaspora, information, francophonie, jeunesse et sport…). Et puis j’ai freiné ma carrière et troqué un nouveau poste de secrétaire général pour celui de conseiller au ministère de l’énergie en 2006 : ma fille aînée a obtenu son bac, et avec ma femme, franco-comorienne, nous nous sommes posé la question de ses études supérieures. J’avais galéré en Tunisie, avec la bourse d’Etat comorienne qui n’était pas très élevée ni versée comme prévu… Je voulais le meilleur pour elle et mes trois autres enfants. Nous avons donc décidé que ma femme et mes deux aînées iraient s’installer en France, tandis que je resterais avec mon fils et ma benjamine. J’ai dû travailler moins pour prendre soin d’eux. Comment j’ai choisi Angers ? Par élimination. Je ne voulais pas que ma femme et mes filles aillent à Marseille ou Paris, je préférais une ville moyenne. J’ai hésité avec Bordeaux que j’avais visité pendant mes années tunisiennes, ou Grenoble. Il se trouve qu’un frère de ma femme habitait à 40 kilomètres d’Angers, ce choix s’est donc imposé. Cette période de séparation familiale a été difficile pour tout le monde. En 2008, l’une de mes filles m’a demandé de les rejoindre. Je suis donc arrivé à la Roseraie. C’était un peu un sacrifice, bien sûr, mais nos enfants sont aujourd’hui experte comptable, ingénieure aéronautique, ingénieur arts et métiers et en master tourisme, je n’ai pas de regret.
Quelle vision avez-vous de votre quartier et de son évolution au cours des années ?
Quand je suis arrivée en 2008, il n’y avait pas encore de tram, la maison de retraite était encore en chantier et franchement, nous avions accepté notre appartement parce que nous n’avions pas le choix, mais le bâtiment n’était pas en bon état, et ce n’était pas le seul du quartier. La porte de l’immeuble ne fermait pas, par exemple. De nombreux travaux de rénovation ont été menés. C’est plus agréable. En termes de commerces, on a tout ici : les banques, les supermarchés, la maison médicale, la bibliothèque… C’est une ville dans la ville, la Roseraie ! D’ailleurs je ne me déplace dans le centre-ville que très rarement, quand j’en ai vraiment besoin. Ce qui nous manque, c’est le relais de la mairie. Celui qui existait a fermé ses portes. L’antenne de police aussi avait fermé ses portes un moment, mais heureusement une permanence a été réinstallée. La Roseraie pâtit d’une mauvaise réputation, pleine de préjugés, mais ce qu’on raconte, ce n’est pas ce que je vis au quotidien : c’est très tranquille ici, et on s’entraide beaucoup. Je ne dis pas qu’il n’y a jamais de débordements, mais c’est injuste qu’on ne voit que ça.
Comment vous situez-vous dans le quartier ?
Je me sens bien. Notre appartement est confortable, et il est assez grand pour accueillir les enfants quand ils viennent nous rendre visite. Et je passe beaucoup de temps à l’extérieur, en fait. En balade dans le quartier, ou au local cogéré avec une quarantaine d’autres associations. L’essentiel pour moi quand je me lève le matin, c’est d’être utile à quelqu’un d’autre que moi-même. Je n’ai pas pu retravailler en arrivant ici, alors je me suis concentré sur le bénévolat, notamment auprès des jeunes. Le week-end, par exemple, je m’occupe de plusieurs groupes, avec qui pendant deux heures nous parlons devoirs scolaires, mais aussi pratique modérée de l’Islam, comportement et respect… Parfois, les parents des enfants que j’accompagne me demandent de venir avec eux aux réunions parents-professeurs pour faciliter le dialogue.
« Ma fierté, c’est que certains reviennent me voir quand ils sont plus âgés pour me dire que grâce à moi ils ont poursuivi leurs études et s’en sont sorti. »
L’enseignement est bon ici, en France, mais parfois sur les comportements, j’ai l’impression qu’on laisse trop faire… De 2009 à 2017, j’ai aussi été bénévole auprès de jeunes à l’Aptira, où j’assurais de l’accompagnement scolaire. A la fin, j’étais même trésorier de l’association. Je suis aussi devenu le référent de la Roseraie pour le bailleur Podeliha : concrètement, j’accueille et j’accompagne tous les nouveaux habitants, et je me tiens à leur disposition s’ils ont des questions. Parfois, ils m’appellent la nuit parce qu’il y a du bruit, ou parce que l’eau est coupée, je fais de mon mieux pour leur répondre. J’ai aussi repris l’association culturelle franco-comorienne un an après mon arrivée. Notre but, c’est essentiellement de pouvoir nous réunir et nous entraider. Quand il y a des décès ou des mariages par exemple, on donne un coup de main, on prête la salle, on accueille les invités chez les uns ou les autres. Moi, je ne sais pas où je mourrai, mais j’ai déjà prévenu mes enfants que ce n’était pas la peine qu’ils s’embêtent à rapatrier mon corps aux Comores, si leurs moyens financiers sont limités. C’est trop de galère et j’aime autant qu’ils évitent de s’endetter.
Quel serait votre rêve pour vous et votre quartier ?
Mon rêve ce serait qu’on pense les rénovations des quartiers plus avec le cœur qu’avec la tête. Les gens sont contents que les bâtiments soient rénovés, ou qu’on en construise de nouveaux, mais tout ne dépend pas que de ça. Je vois bien que les enfants de la Roseraie ont parfois du mal à se sentir Angevins par exemple. A l’école, au collège, j’ai bien vu que mes enfants étaient entourés d’enfants venus d’ailleurs. Ça n’est évidemment pas un problème pour moi, mais ça m’interroge : est-ce que c’est une bonne méthode ?
« Parfois j’ai l’impression qu’en France, on fait semblant de lutter contre le communautarisme, tout en y poussant. Et quand je vois les jeunes qui traînent aux heures d’école ou de travail, ça me fait très mal au cœur. »
Qu’est-ce qu’on propose comme formation ? Est-ce qu’on peut investir davantage sur cet aspect que sur les bâtiments ? J’ai été très exigeant avec mes enfants. Un jour mon fils, après le dîner, et sans que je m’y attende, m’a remercié. Il m’a dit « merci papa, je vois les copains qui sont en prison aujourd’hui, et je veux vous dire merci ». Nous qui sommes investis dans des associations, nous faisons déjà beaucoup pour les jeunes dans les quartiers, mais les autorités politiques ? Et je ne parle pas d’envoyer la police. Je parle d’éducation, de formation, de dialogue !
Propos recueillis par Clémence Leveau
