Les enjeux socio-spatiaux du vieillissement des quartiers politique de la ville

Par Mickaël Blanchet, Géographe au Gérontopôle Pays de la Loire et Chercheur associé à l’Université d’Angers

 

Vieillissement des quartiers prioritaires de la politique de la ville, un sujet peu abordé

Avec une population de 13,3 millions de personnes âgées de 65 ans et plus en 2019, et dans un contexte de gérontocroissance et de diversification des modes de vie des personnes âgées, le vieillissement de la population n’a jamais autant interrogé les politiques publiques sur leur capacité à apprécier les besoins des personnes et à leur faire place dans la société. Depuis les années 1960, l’attention des politiques publiques s’est successivement portée sur la place des personnes âgées dans la cité, puis sur les besoins des personnes les moins autonomes et enfin, sur le potentiel économique que représente la solvabilité inouïe des personnes âgées.

Si ces approches demeurent, elles sont désormais complétées depuis les années 2000 par une appréciation territoriale des besoins et des enjeux liés à cette population. Dans ce sens, la répartition et les dynamiques socio-spatiales des personnes âgées sur le territoire constituent une entrée de plus en plus grande des politiques de la vieillesse. Or, l’analyse géographique et nationale du vieillissement de la population révèle une répartition inégale des personnes de 65 ans et plus. Les trois quarts d’entre elles vivent en zone urbaine, tandis que 15% résident en milieu rural en 2019. Plus précisément, le vieillissement de la population urbaine est plus prononcé dans les quartiers péricentraux et certaines communes de banlieue, tandis qu’il est relativement faible dans la plupart des communes périurbaines et des quartiers politique de la ville.

De plus, le vieillissement du territoire ne constitue pas un unique instantané mais s’inscrit également dans des dynamiques démographiques. Ainsi, entre 1990 et 2019, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus a augmenté de manière significative, passant de 7,9 Millions d’habitants à 13,3 en 2019. Sur cette période, ce sont essentiellement les petites villes, les villes principales, les littoraux ainsi que les communes de 1ère couronne de banlieue des métropoles françaises qui ont profité de cette gérontocroissance. Pour la dernière décennie, l’onde de gérontocroissance s’est déplacée en milieu périurbain ainsi que dans les quartiers politique de la ville. Comme l’a souligné l’Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires en 2018, les quartiers politique de la ville vont connaitre un vieillissement important et inédit de leur population.

L’enjeu est de taille puisque la documentation et les recherches sur le phénomène sont rares. Malgré ce contexte, l’enjeu reste de taille : celui d’une prise en compte émergente de la longévité et de ses dimensions sociales, économiques, médicales et spatiales dans des espaces traditionnellement axés sur les jeunes, les familles et les publics en besoin d’intégration socio-économique.

Spécificités démographiques et sociales du vieillissement des Quartiers Politique de la Ville

Cette perspective sonne alors comme une invitation à se pencher sur les spécificités du vieillissement de ces mêmes quartiers. A ce titre, plusieurs spécificités peuvent être relevées :

  • Que les personnes âgées sont sous-représentées dans les quartiers prioritaires, ne constituant que 7% à 14% de la population, contre un habitant sur cinq en France. Pour les 75 ans et plus, l’écart est encore plus marqué, avec seulement 4,2% dans les quartiers étudiés contre 9,3% au niveau national.
  • Que l’évolution du nombre de personnes âgées est hétérogène entre les quartiers prioritaires, oscillant entre une gérontocroissance de 55%, une stagnation et même une gérontodécroissance (en Ile-de-France notamment).
  • Que la composition sociale de la population retraitée des quartiers politique de la ville se distingue par une surreprésentation des anciens ouvriers-employés (74% contre 55% au niveau national) et une sous-représentation des anciens cadres et professions intellectuelles supérieures (15,2% contre 30,1% au niveau national). Cette spécificité sociale se traduit par des revenus médians et des niveaux de vie à la retraite plus bas, ainsi que par une faible proportion de retraités propriétaires de leur résidence principale (11% contre 75% au niveau national).
  • Que les personnes âgées vivant seules sont surreprésentées dans les quartiers politique de la ville.
  • Et que la part des personnes étrangères âgées de 65 ans et plus varie de 16,2% dans les quartiers politique de la ville étudiés contre 6,9% au niveau national (2019).

Des quartiers sous-équipés sur le plan médical et médico-social

Sur le versant des besoins, la situation sociale et économique défavorisée des personnes âgées dans les quartiers politique de la ville justifie une réflexion sur le niveau d’équipement médical et médico-social de ces zones. A ce jour, plusieurs études pointent un manque d’équipement médical et médico-social dans ces espaces. En effet, alors qu’en France, on compte en moyenne 94 médecins généralistes pour 100 000 habitants en 2019, cette densité est en moyenne deux fois inférieure dans les QPV, ce qui équivaut aux densités observées en milieu rural (occasionnant un report sur les Urgences hospitalières). Sur le plan médico-social, les Quartiers Politique de la Ville sont également moins bien équipés en maisons de retraite médicalisées (EHPAD) et en résidences autonomie. Pour pallier ce manque d’équipement, les personnes âgées et leurs aidants dans ces quartiers s’appuient largement sur les services de soins infirmiers à domicile et les services d’aide et d’accompagnement à domicile. Cependant, le secteur de l’aide à domicile rencontre régulièrement des difficultés de recrutement et de fidélisation de son personnel, ce qui laisse une grande part de l’aide reposant sur les solidarités familiales.

Pour quels enjeux ?

Il ressort de ces spécificités plusieurs enjeux inhérents au vieillissement des quartiers politique de la ville. En premier lieu, cet enjeu manque de lisibilité : peu d’études et de bases de données spécifiques au vieillissement des quartiers relevant de la politique de la ville existent. En effet, et malgré l’existence d’un observatoire de la politique de la ville, les données de l’Insee ainsi que certaines bases de données sur la santé et l’aménagement du territoire ne sont pas disponibles selon les découpages des quartiers de la politique de la ville, ce qui rend difficile l’observation actualisée des aspects démographiques, économiques et sociaux. Pourtant, il est essentiel d’analyser les conditions de logement, les mécanismes de solidarité envers les personnes âgées, les pratiques et les besoins des personnes âgées dans ces espaces afin de proposer des réponses appropriées.

En second lieu, la place des personnes âgées et leurs différentes composantes en termes de logement, de citoyenneté, de mobilité et de relations intergénérationnelles dans des espaces où elles sont sous-représentées, laissant une plus grande visibilité à d’autres publics, constituent un enjeu incontournable et amené à être de plus en plus prégnant. Dans ce contexte, les commerces de proximité ainsi que les acteurs sociaux tels que les centres socio-culturels et les maisons de quartier, les services de transport en commun, les organismes de logement social et les services de sécurité devraient être mobilisés pour favoriser l’intégration locale des personnes âgées et promouvoir des politiques inclusives à leur égard.

Enfin, en troisième lieu, les tensions intergénérationnelles croissantes dans le monde occidental, en termes de niveau de vie, de protection sociale, de clivages politiques et de dépendance (une partie des retraités des grandes villes est accompagnée à domicile en partie par des travailleurs provenant des quartiers), représentent un enjeu géopolitique majeur mais jamais formalisé. Outre des politiques spécifiques pour les personnes âgées adaptées aux réalités territoriales, des politiques globales en faveur de l’emploi, des conditions de travail et du logement contribueront à favoriser la reconnaissance des aînés et à renforcer les liens entre les générations au sein de nos sociétés.

 

Bibliographie

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