Quel chemin parcouru depuis 2020 où nous avions rencontré Sandrine pour notre premier recueil de portraits de femmes engagées ! Après avoir connu la grande précarité, elle dirige aujourd’hui un réseau d’affaires féminin qui vient d’accueillir sa millième adhérente. Un succès qui montre la valeur de son expertise et engagement pour soutenir l’indépendance et la sécurité des entrepreneuses.
Nom : BERTHIER
Prénom : Sandrine
Âge : 47 ans
Signes distinctifs : Sa curiosité, sa soif permanente d’apprendre.
Nom de l’entreprise : Pouvoir d’entreprendre
Nature de l’activité : Réseau d’affaires féminin
Pouvez-vous vous présenter ? Qu’est-ce qui vous a mené vers l’entrepreneuriat ?
Ma mère était infirmière libérale et mon père maçon, puis ambulancier. Mes parents ont toujours été à leur compte, mais sans les bons modèles économiques, je suppose, car les fins de mois paraissaient compliquées. Je n’ai pas eu de diplômes après le bac, à part une formation d’assistante de gestion PME-PMI qui ne me passionnait pas. Après des années très dures de violences conjugales, je suis arrivée seule avec mon enfant dans le quartier de Ménimur. Mon engagement pour le droit des femmes et la lutte contre les violences vient de là.
« Je me suis dit : stop. J’ai besoin de sécurité et de liberté. Ma liberté, je vais la trouver dans l’entrepreneuriat. Ma sécurité financière, je la trouve seulement maintenant… »
Je me suis mise à mon compte il y a 17 ans, comme graphiste au départ puis j’ai développé d’autres activités autodidactes, mais toujours précaires… J’ai créé une agence de communication qui a coulé, après une erreur de recrutement. Je ne m’étais pas encore formée en management. Parallèlement, j’ai initié et porté le projet TZCLD (Territoire zéro Chômeur de longue Durée) dans mon quartier, pendant trois ans, avec une soixantaine de bénévoles, fédérant les acteurs du quartier et les institutions. J’étais présidente de l’association. Mais cela s’est terminé en burn-out et au RSA, il y a quatre ans. J’étais à sec, avec deux enfants à charge. Je n’arrivais pas à vivre de mon business et je continuais à travailler gratuitement… La goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Et je me suis remise en selle…
Quel projet avez-vous développé et pourquoi ?
En tant qu’entrepreneure, j’ai cherché en vain un réseau d’affaires. Aucun ne convenait : soit les réunions avaient lieu à 7 h 30 du matin (impossible pour une maman solo !), soit l’adhésion était trop coûteuse ou fermée aux personnes d’une même profession. Dans le dernier réseau, on m’a invitée à animer un atelier gratuitement, puis un deuxième, alors que je sortais du RSA. Je me suis rebellée et j’ai décidé de créer mon réseau, inclusif, bienveillant, avec un modèle économique sécurisant, fin 2021. Il est très différent de ce qui existe. D’abord, ce réseau est très accessible financièrement, sans obligation de rentrer sur un an. Surtout, je rémunère les personnes qui réalisent des ateliers. Et nous acceptons les personnes d’une même profession, ce qui nous tire vers le haut. Il y a de la place pour tout le monde ! En échangeant, on monte en compétence, on peut créer des partenariats… Le réseau s’adresse aux femmes, parce qu’il y a 85 % de précarité dans l’entrepreneuriat féminin. L’objectif est qu’elles puissent régulariser et sécuriser leurs revenus. C’est un réseau d’affaires, elles se recommandent et gagnent de l’argent, soit avec le réseautage, soit avec mes formations. Je leur apprends à choisir le bon modèle économique, les stratégies marketing, la prospection et nous faisons ensemble. Nous allons vraiment très loin.
« Plus qu’un réseau, c’est devenu une école de l’entrepreneuriat féminin. »
Quels ont été les réussites et les freins dans la mise en œuvre de votre projet ?
Aujourd’hui, nous sommes 1000 ! C’est incroyable ! On a commencé dans le Morbihan et à présent, 80 villes sont couvertes en France, mais aussi en Belgique, en Suisse, au Portugal. L’ambition est maintenant mondiale. J’étais au RSA il y a 4 ans et aujourd’hui je suis à 50 000 € par mois de chiffre d’affaires. La réussite est aussi d’avoir compris qu’il fallait vendre avant de créer, que l’on ne peut pas penser vivre d’un business si on ne valide pas avant notre offre sur le marché. Je suis contente d’avoir pu garder cet esprit de bienveillance qui est essentiel dans le réseau. Sans confiance, il n’y a pas de vente entre nous…
Comme j’ai beaucoup de clientes d’un coup, je rencontre les problématiques des grandes entreprises, sauf que je n’ai pas leur trésorerie. Le management a été un challenge… Je rémunère plus de 80 directrices de territoire, ainsi que deux équipes resserrées de 6 personnes qui travaillent sur les évènements et sur l’organisme de formation. Plus tu grandis, plus tu apprends. C’est le crédo de mon réseau : « Grandir Ensemble. »
Comment et par qui avez-vous été accompagné dans le montage de votre projet ?
L’Adie m’a beaucoup aidée en me prêtant de l’argent pour investir sur moi. Je la recommande fortement, parce que quand j’étais au RSA, je savais que je ne pourrais pas y arriver toute seule. Depuis trois ans, j’ai dépensé plus de 50 000 euros en formation et accompagnement en vente, marketing, management. C’est important, car je n’aurais jamais obtenu ces résultats sans me former. La seule façon de ne plus être précaire, c’était d’apprendre auprès de gens plus expérimentés que moi.
Quelles sont les particularités d’exercer votre activité en quartier prioritaire ?
J’ai longtemps été investie dans mon quartier. Quand j’étais présidente de l’association pour le TZCLD, ou dans les réseaux d’entreprises, on a souvent considéré que je n’avais aucune expertise. J’étais une femme des quartiers, je n’avais pas de diplômes donc je n’étais pas légitime… On a voulu m’écarter. En 2011, j’ai reçu le prix Talent des Cités pour mon entreprise de communication, dans le quartier de Ménimur. C’est important, de recevoir une récompense quand on ne se sent pas du tout légitime ni compétent, même si pendant longtemps on pense l’avoir obtenue parce qu’il n’y avait personne d’autre ! C’est la première pierre de l’édifice de l’estime de soi. Pour accéder à l’étape d’après : reconnaître que l’on fait du bon travail parce que l’on a des clients.
Quels sont vos souhaits pour l’avenir et pour développer votre activité ?
Je voudrais des franchises dans tous les pays ! J’adorerais créer une plateforme pour mettre en relation des gens qui ont besoin les uns des autres. J’ai plein d’idées ! Mais je reste vigilante à deux choses dans le réseau : que les filles obtiennent toujours autant de résultats pour leur chiffre d’affaires, et que la bienveillance soit de mise. Prochainement, j’aimerais créer une fondation avec les adhérentes, pour lutter contre les inégalités femme-homme dans l’entrepreneuriat. La fondation ferait du lobbying pour changer les lois, par exemple sur le congé maternité des entrepreneuses. J’aimerais délivrer des chèques alimentaires aux entrepreneuses précaires. Il y aurait aussi de l’argent selon les projets et de « l’empowerment ». L’objectif est que l’on soit toutes autonomes avec notre business.
Propos recueillis par Marie Fidel