L’enquête sociale au service d’un projet de réhabilitation, à Nantes Nord

L’exemple des Tours Québec / Aiguillon Construction

Article paru dans Idées & Territoires, revue du comité scientifique de RésO Villes, décembre 2018

Sociologue et directrice d’études au CERUR, Agnès LEMOINE intervient sur les problématiques de la politique de la ville et du renouvellement urbain.
Urbaniste et sociologue de formation, Jean LEVEUGLE est chargé d’études au CERUR dans le domaine de l’habitat et des politiques sociales.

L’enquête sociale menée pour un bailleur social à Nantes en vue de la réhabilitation de deux immeubles, a conduit à construire une typologie opérationnelle situant les locataires dans leurs parcours résidentiels et précisant, pour le bailleur, les enjeux auxquels doit répondre la réhabilitation. Cette typologie offre un cadre d’analyse nouveau et appropriable pour les professionnels, permettant ainsi de dépasser la simple consultation en vue d’une réhabilitation et de construire des réponses ajustées aux profils des ménages.


En juillet 2017, Aiguillon Construction, bailleur social d’origine rennaise, confie au bureau d’étude Cérur la réalisation d’une enquête sociale auprès des locataires de deux tours de la rue Québec, à Nantes Nord. Les deux immeubles, ancienne propriété de Nantes Métropole Habitat, ont été acquis par le bailleur rennais début 2017, avec en ligne de mire une réhabilitation dans le cadre du projet de renouvellement urbain Nantes-Nord. Les deux immeubles sont dégradés et présentent de nombreux dysfonctionnements (humidité, infiltrations, nuisibles, etc.).

L’enquête sociale doit permettre de nourrir le programme de travaux sur la base d’une connaissance fine des réalités et des dynamiques sociales au sein des tours et de préciser les choix d’interventions stratégiques au regard des attentes des ménages. Par ailleurs, elle doit permettre de préparer les conditions de mise en œuvre d’un dispositif d’accompagnement pendant le temps du chantier.

Des récits de vie

Au total, 135 entretiens individuels sont réalisés à domicile (82 % des ménages) sur une durée de trois semaines. La date et l’heure ont été convenues par téléphone pour une majorité des locataires et le reste des habitants est sollicité en porte-à-porte. La présence sur place d’agents de proximité facilite grandement la gestion des rendez-vous.

Les entretiens de type « récits de vie » permettent d’identifier quatre « parcours-type » retraçant les conditions d’arrivée des locataires dans les tours :

  • Le parcours choix : habiter là, dans cette tour, dans ce quartier, relève d’un vrai choix, d’un choix qui fait écho à des souvenirs d’enfance, la présence d’une famille, des repères. L’attachement au quartier est réel et la personne peut en énumérer les ressources : une localisation idéale, la présence d’équipements, de services ou de commerces, la proximité du tramway, etc.
  • Le parcours chaotique : le logement est une première étape de stabilisation après un parcours résidentiel ou de vie chaotique. La personne est reconnaissante vis-à-vis de ce logement et de la sécurité qu’il offre, dans la mesure où le passé a été plus difficile (rue, hôtels, foyers, etc.).
  • Le parcours par défaut : les motifs d’arrivée dans ce logement, cet immeuble ou ce quartier sont difficiles à énoncer. Le parcours résidentiel paraît peu maîtrisé et relever d’une forme de hasard « on m’a proposé, j’ai dit oui ». Souvent, la personne ne dispose pas d’ancrage local.
  • Le parcours contraint : Le logement dans ce quartier est un « passage obligé » et la personne est venue habiter dans ce quartier faute d’alternative possible.

Cinq profils de locataires, cinq modes d’habiter

L’objectif est alors de mettre en perspective ces quatre « parcours-types » avec les projections résidentielles des ménages et leur perception de la réhabilitation, afin d’identifier les réponses les plus pertinentes à mettre en œuvre en fonction des profils identifiés.

Le locataire scotché entretient un rapport « d’occupation » quasi pathologique à son logement. Il ne peut créer la distance nécessaire qui permet d’entretenir ou de renouveler le logement.

Le  locataire  ancré  habite  et  s’approprie  son  logement  au  sens où il en fait un chez soi qu’il décore, bricole, aménage et transforme : rester c’est un choix, « on est bien, on y reste ».

Le   locataire   stabilisé   a   eu   un   parcours   chaotique   et   le   logement   est   une   étape   nécessaire   et   temporellement   indéterminée. Toutes les conditions ne sont pas réunies pour se projeter vers un ailleurs.

Le locataire flottant a un rapport au temps incertain et non maîtrisé. Cette difficulté à se projeter rend difficile toute démarche et constitue un facteur de réelle fragilité.

Le  locataire  en  départ  urgent  a  un  rapport  phobique  à  l’égard  de  son  logement  et  de  la  tour.  Il  faut  à  tout  prix  quitter le quartier.

Cinq profils de locataires sont construits à partir des entretiens réalisés : les locataires scotchés, les locataires ancrés, les locataires stabilisés, les locataires flottants, ou les locataires en départ urgent. Ces portraits ne sont pas des « photographies » des habitants rencontrés au cours de cette étude, mais des constructions élaborées selon le principe des « idéaux-types ». Chaque profil synthétise les propos de plusieurs personnes présentant des convergences en termes de représentations, de motivations et de trajectoires. Les profils agrègent plusieurs dimensions : le rapport au logement et la façon de l’habiter, la capacité « anthropologique » à construire de la frontière et donc de la relation aux autres, le rapport au temps, la capacité à se projeter et la possibilité pour le bailleur de s’en saisir ou non. En effet, ces dimensions sont éclairantes pour analyser le rapport des locataires à la perspective de réhabilitation (sens donné au projet, craintes ou résistances suscitées, mise en jeu de la relation au bailleur…). Au-delà, l’objectif est bien de concevoir des formes d’accompagnement ajustées aux problématiques propres aux différents profils.

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